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Tombouctou : la splendeur perdue d'une Afrique à l'« Histoire écrite »

Rédigé par Maria Magassa-Konaté | Lundi 11 Février 2013 à 00:00

La ville de Tombouctou, au Mali, a été reprise des mains des groupuscules terroristes par l’armée malienne et française le 28 janvier dernier. Cinq jours après, le chef de l'État français François Hollande a été accueilli en grande pompe par les habitants de cette cité classée au patrimoine de l’humanité par l’UNESCO. Les mausolées, anciennes mosquées et les nombreux manuscrits qui s’y trouvent ont fait le mythe de cette ville. Mais que représentent véritablement le patrimoine islamique et plus particulièrement les manuscrits de Tombouctou ? Pierre Boilley, historien et directeur du Centre d'études des mondes africains (CEMAF), rattaché au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), nous éclaire.




Saphirnews : Quel est le nombre de manuscrits à Tombouctou ?

Pierre Boilley : Il est difficile de donner un chiffre mais on parle de plus de 100 000 manuscrits qui ont des valeurs différentes les uns des autres. Certains datent de plusieurs siècles, d’autres sont plus récents. Certains de ces manuscrits traitent de l’Histoire de la région, d’autres sont des traités scientifiques, et beaucoup sont en relation avec l’islam.

Justement, quels sont les thèmes abordés par ces anciens ouvrages ?

Pierre Boilley : Il y a des thèmes différents. Une grosse proportion se compose d’écrits religieux : il s’agit de textes du Coran, de commentaires du Livre sacré et de fatwas dans le sens de consultations juridiques. Une autre partie correspond à des écrits sur la vie quotidienne et les coutumes. Ces écrits historiques ont parfois un lien avec la religion et présentent l’avis d’imams. D’autres encore traitent de médecine, d’astronomie ou encore de droit.

Qui sont les auteurs de ces écrits ?

Pierre Boilley : Les auteurs sont nombreux. Ce sont des imams, des théologiens réputés, des savants et des chroniqueurs qui font des récits de la vie de l’époque.

Quel était le contexte d’écriture de ces manuscrits ?

Pierre Boilley : Des manuscrits remontent jusqu’au XIIe siècle, ce qui n’est pas étonnant. En effet, depuis l’empire du Mali, la ville est réputée. Beaucoup de commerçants maghrébins et arabes s’y sont installés. La ville s’est islamisée très précocement. Tombouctou était le départ de caravanes qui acheminaient de l’or et des esclaves vers le nord, et l’aboutissement de marchands venus du Maghreb ou de plus loin. La volonté d’investir dans cette ville était grande. On y construit au début du XIVe siècle la Grande Mosquée de Djingareyber, toujours visible à Tombouctou. Des savants, des théologiens mais aussi des juristes, médecins et chroniqueurs historiques se retrouvent à l’université Sankoré.

La ville est connue en Europe dès le Moyen Âge. Elle est associée à la richesse du Mali et du Soudan, à l’or. Il y a un mythe, un rêve qui se crée autour de Tombouctou chez les Européens. Elle a une réputation de splendeur intellectuelle, économique et religieuse. Ce mythe a perduré, car c’était une ville interdite qui a suscité de grands fantasmes. C’est moins le cas chez les Africains qui, évidemment, fréquentaient ce lieu et en connaissaient les réalités, et notamment le déclin à partir du XVIe siècle.

Aujourd’hui, qu’en est-il de la conservation de ces documents ? Une numérisation est-elle en cours ?

Pierre Boilley : La numérisation est un vaste problème. Il y a le centre de conservation Ahmed Baba, à Tombouctou, mais il faut savoir que des collections privées familiales sont toujours conservées par des notables de Tombouctou ou des familles nomades. Il n’y a pas qu’à Tombouctou que l’on peut trouver des manuscrits. Les Touaregs, les Maures, nomades ou sédentarisés, conservent ainsi des milliers d’ouvrages de famille.

Pour améliorer la conservation de ces anciens ouvrages, les Etats occidentaux mais surtout l’Afrique du Sud ont versé beaucoup d’aides. Mais en ce qui concerne la numérisation, les difficultés techniques sont grandes. Il faut aussi noter qu’il y a eu, hélas, des vols d’ouvrages, et certains ont été vendus.

Les groupes armés se revendiquant de l’islam ont saccagé une partie de ces ouvrages dans le centre Ahmed Baba, où se trouvaient entre 60 000 et 100 000 manuscrits selon les autorités. Quel premier bilan de ces destructions fait-on ?

Pierre Boilley : L’inventaire n’est pas terminé mais les dégâts sont apparemment moins importants qu’on ne le pensait. D’après les dernières estimations, il y aurait environ 10 % de perte. 90 % de manuscrits sont donc intacts. C’est une catastrophe, mais elle semble plus réduite que ce que l’on craignait.

Aujourd’hui, quelle place occupe la cité dans l’islam de la région ?

Pierre Boilley : Le déclin de Tombouctou a démarré dès le XVe siècle avec le détournement du commerce vers les côtes, notamment en relation avec la traite atlantique des esclaves, puis la colonisation. La ville a perdu de sa splendeur. René Caillié, un explorateur français, premier Occidental à revenir de Tombouctou, est ainsi revenu très déçu de son voyage (en 1828, ndlr). Il parle d’une ville de terre au milieu des sables, sans sa richesse espérée.

Aujourd’hui, la ville n’a plus d’impact religieux. Il n’y a pas de grande madrasa (école coranique). Avant, Tombouctou pouvait compter sur le tourisme mais, maintenant, c’est devenu difficile.

Des manuscrits ont-ils été traduits en langue bambara ou en d’autres langues locales maliennes ?

Pierre Boilley : Ces livres, essentiellement écrits en arabe, ont été peu traduits en bambara, qui est une langue plus orale qu’écrite.

Mais certains ont été traduits en français comme les ouvrages Tarikh as-Soudan et Tarikh el-Fettach, qui retracent les histoires de l’empire du Ghana et du royaume de Songhaï. On dit qu’il n’y pas d’Histoire en Afrique mais, en plus d’avoir une Histoire, l'Afrique a une Histoire écrite.